
Capital risque israélien
Au deuxième rang mondial du capital risque, la finance israélienne n’est pas prête à se laisser intimider par la politique, et encore moins par les aléas économiques. En juin, dans un contraste saisissant avec les entraves aux pourparlers de paix entre Israel et la Palestine, Yadin Kaufmann, l’un des fondateurs de la compagnie israélienne de capital risque Veritas, et Abdul Malik al-Jaber, Président de Palestine Telecommunications Co ont annoncé la création d’un nouveau fond de 50 millions de dollars pour investir dans des sociétés de technologies palestiniennes en Cisjordanie.
Risque extrême ? C’est surtout qu’en dépit du climat international de morosité économique, la finance israélienne déploie une étonnante capacité de résistance qui l’encourage à prendre des chemins traditionnellement mal explorés par les firmes étrangères. Le capital risque est particulièrement bien loti : au cours des dix dernières années, les sociétés israéliennes de capital risque ont levé un total de 10,6 milliards de dollars. L’an dernier, pas moins de 1,1 milliard de dollar a été levé en première phase d’investissement. En tête, caracolent les premiers acteurs israéliens du secteur, comme Pitango qui a levé 330 millions de dollars dans son cinquième fond et Pontifax II qui a levé 85 millions de dollars. D’après les derniers chiffres de IVC Research Center, une unité d’Israel Venture Association,135 compagnies israéliennes de high tech avaient levé 617 millions de dollars entre janvier et mars dernier auprès d’investisseurs tant nationaux qu’étrangers, le plus haut niveau de levée de fonds depuis 2001.
Cette bonne santé dans un contexte d’incertitude n’est pas vraiment une coïncidence : en Israël, note Antoine Colboc, Responsable de l’activité capital risque de crédit agricole private equity, « on retrouve les trois ingrédients du capital risque qui sont l’innovation, des managers entreprenants, et de l’argent. Il existe des passerelles fortes entre des programmes de développement public technologique et des entreprises privées. On y trouve une population naturellement mise dans des conditions de risque et donc dans un système d’entreprenariat ». C’est donc sans surprise qu’il a vu émerger récemment une demande de la part d’une clientèle de gestion privée, en direction d’Israël : « ils voulaient investir non pas en direct en capital risque, mais dans des fonds de capital risque, on a donc créé un fond de fonds souscrit à la fois par de la clientèle de la gestion privée et abondé également par nos fonds propres avec un objectif d’environ 45 millions de dollars. Il est structuré comme une SICAR, une société luxembourgeoise, et a pour objectif de prendre des participations dans une dizaine de fonds de capital risque israéliens ».
Ce responsable de fond est frappé par la maturité du marché, « avec des fonds de capital risque présents depuis une vingtaine d’année qui en sont à leur quatrième, cinquième fond, avec des équipes assez seniors, et avec de vrais track records ». Beaucoup d’observateurs attribuent ces performances aux particularités du capital risque israélien, un modèle encore largement unique aujourd’hui qui remonte au début des années 90. A cette époque, les synergies entre l’armée et la société civile ont déjà fortement favorisé l’innovation technologique. Le gouvernement opte pour une stratégie destinée à la fois à favoriser l’essor de l’innovation et celle de petites et moyennes entreprises. Sous l’égide du Ministry of Industry, Trade and Labor (OCS), le bureau du Responsable Scientifique administre un programme d’incubateurs technologiques subventionné par le gouvernement, dont le principal objectif est de permettre le développement de start-up viables. Concrètement, les incubateurs – 24 aujourd’hui – sont destinés à absorber la plus grande partie du risque de l’amorçage, fournissant aux entrepreneurs des locaux, des ressources financières, ainsi qu’un appui administratif. Un projet passe typiquement deux à trois ans en incubateur dans cette phase préliminaire de son développement, sécurisant généralement un budget d’environ 500.000 dollars, sensiblement plus élevé pour les biotech. 85% du soutien financier du gouvernement se fait sous la forme d’un prêt dont le remboursement n’est exigible qu’en cas de succès de la start up. A partir de 2002, les autorités ont opté pour la privatisation de la plupart des incubateurs, insufflant encore une nouvelle énergie au secteur. C’est au cours de ces années là qu’Anat Segal, une spécialiste du capital risque israélienne avec une longue expérience bancaire cherche à créer avec des partenaires une plateforme financière pour des investissements dans des projets en phase d’amorçage. La privatisation va parfaitement servir leurs objectifs : « nous avons sauté sur l’occasion. A ce moment là, les incubateurs étaient des entités gouvernementales, pas vraiment glamour, ni associés à l’idée de succès, simplement parce qu’ils étaient gérés par le gouvernement ou des agences semi gouvernementales, bien loin de l’industrie high tech et de là ou se situait l’action. Mais ce que nous avons tout de suite compris, c’est que l’incubateur était avant tout une plateforme. Une plateforme financière agissant comme un levier de fonds provenant du gouvernement et ne comportant pratiquement pas de risque pour nous et nos investisseurs. » En pratique, Xenia, la société de capital risque qui a émané de l’incubateur privatisé, reçoit un prêt pour ses investissements et détient une option pour le rembourser après six ans si la start up se développe comme prévu. Dans le cas contraire, Xenia peut choisir d’abandonner ses parts de la start up et ne pas rembourser le prêt. « Si la start up réussit, cette option de prêt vaut beaucoup d’argent et si elle échoue, nous ne perdons rien. C’est un système financier très attractif », résume Anat Segal, Présidente de la compagnie. Xenia a aujourd’hui 18 sociétés dans son portefeuille dont 10, émancipées de l’incubateur, ont levé des fonds externes pour poursuivre leur expansion. Pour Amin Gal-Or, partenaire gérant d’Infinity, un important fond de private equity axé sur la Chine qui détient des participations dans trois incubateurs, « le plus remarquable, c’est le soutien du gouvernement, nous recevons en fait du gouvernement 85 % du financement des projets et l’incubateur lui-même doit seulement investir 15 % des coûts, ce qui réduit les risques de l’amorçage et encourage la prise de risque dans l’innovation ».
Pourtant, cette formule ne garantit pas une totale immunité aux turbulences financières internationales. Alors que le marché israélien du capital risque est très lié aux Etats-Unis, une récente étude de Deloitte qui lui est consacrée insiste sur les conditions moroses affectant le Nasdaq. Elle suggère « des retards de sorties, davantage de fusions et acquisitions, ainsi que des valorisations moindres » et indique que les start up en attente d’introductions en bourse risquent de trouver leur refinancement difficile à assurer. C’est un contexte de retournement cyclique que chacun appréhende en cherchant à sécuriser le plus rapidement possible les fonds nécessaires pour affronter les deux années difficiles qui se préparent. « Le climat actuel affecte à la fois des fonds de capitaux risque et les compagnies high tech, note dans son dernier rapport le Président d’IVC Research Center Guy Holtzman, l’incertitude sur les marchés de capitaux et la faiblesse du dollar incitent les sociétés israéliennes de high tech à rechercher davantage de fonds pour assurer leurs besoins financiers ». Les stratégies peuvent varier selon les caractéristiques des sociétés. « Les conditions du Nasdaq signifient qu’il y aura moins de possibilités de sorties et des valorisations moins élevées. En tant que fond, nous regardons principalement vers des sorties en Asie et en Chine, la conjoncture actuelle a surtout conforté cette stratégie que nous avions déjà », souligne Amir Al-Gore d’Infinity. De son côté, Xenia qui est coté à la Bourse de Tel Aviv a procédé avec succès à une augmentation de capital par droit préférentiel de souscription. « Nous l’avons décidé alors que nous avions encore suffisamment de liquidités pour financer nos opérations parce que j’ai le sentiment que nous allons traverser des moments difficiles et que nous devons y être préparés », explique Anat Segal. Le capital risque israélien a encore levé 465 millions au deuxième trimestre, mais les statistiques des investissements en amorçage suggèrent une tendance au ralentissement. Rien encore cependant pour inquiéter les investisseurs étrangers. Comme le relativise Antoine Colboc, « nous regardons cela de près et cela nous amène éventuellement à pondérer avec des investissements late stage. Mais on entre dans un cycle bas et l’on en ressortira. Par rapport aux durées de vie de ces fonds qui sont de 8-9 ans, ce n’est pas dramatique. Nous allons entrer en phase de sortie dans 4 ans au moins, donc à la limite, il vaut mieux entrer dans un cycle bas ».